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Prose

L’Amant – Un Amour Singulier

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Un jeune homme vietnamien d’origine chinoise se rendit de Sa Déc à Saigon, partageant un passage sur le bac My Thuan avec une jeune fille française. L’amour frappa, dit-on. Marguerite Duras a écrit “L’Amant” en 1984, inspirée par une histoire d’amour dans le Sud du Vietnam à la fin des années 1920 et au début des années 1930 entre une jeune française, elle même sans doute, et un Vietnamien d’origine chinoise. Elle y exprimait son attachement pour ce pays. Et pour cet homme. Et son roman explorait les complexités et les intimités d’une romance clandestine.

En 1991, après avoir appris la mort de cet homme, l’écrivaine française Marguerite Duras publiait “L’Amant de la Chine du Nord” (les deux livres sur le même amant ont été traduits en vietnamien). Elle commençait ainsi : “J’ai appris qu’il était mort. C’était en mai 1990, il y a un an. Je n’avais jamais pensé à sa mort. On m’a dit qu’il était enterré à Sa Déc, que la maison bleue était toujours là, où vivait sa famille. À Sa Déc, il était aimé pour sa bonté, sa simplicité et sa foi profonde dans ses dernières années.”

Personnages du Vietnam
Ces personnages étaient originaires de la Cochinchine (nom du Sud du Vietnam dans le temps de la colonisation française) et avaient grandi avec la terre, le vent, l’eau et les gens de cette région.

L’histoire commençait en 1929, lors d’un voyage brumeux et enfumé sur un bac qui traversait le Mékong. Une jeune fille française allait de Sa Déc à Saigon, appuyée sur la rambarde, regardant la rivière, le ciel et le monde. À l’époque, ces bacs de My Thuan (qui n’existent plus depuis l’an 2000), transportaient passagers, bétail, fruits et fleurs … Et on entendait les conversations animées des voyageurs.

2 Jane March
L’actrice britannique Jane March dans le rôle de la jeune fille française.


Marguerite Duras a écrit dans “L’Amant” : “J’avais quinze ans et demi à ce moment-là, le voyage vers le nord à travers le Mékong. L’image est restée pendant la traversée du fleuve.” À cette époque, les bacs traversaient un bras du Mékong qui était “entre Vinh Long et Sa Déc, dans la grande plaine de boue et de riz du sud de la Cochinchine, celle des oiseaux.” Il faut aimer une terre pour s’en souvenir et en parler ainsi.
Alors, sur le bac, de la curiosité à la compréhension et au partage, un coup de foudre, d’après l’écrivaine française, se produisit entre une jeune fille de quinze ans et demi pauvre et un homme de vingt-sept ans riche, issu d’une des familles les plus aisées de Sa Déc. Selon les croyances bouddhistes, c’est le destin, ou “duyên”. Chaque rencontre dans la vie fait partie du destin qui unit les gens, et l’amour les lie peut-être pour toute une vie. L’histoire continuait avec des scènes montrant l’admiration du Sino-Vietnamien pour la Française. Il s’informait sur elle, lui parlait français (il avait fait ses études à Paris), lui souriait, lui toucha la main et la séduisit. Ils s’aimaient, d’après Marguerite Duras, et se retrouvaient dans Cho Lon de Saigon (toujours le quartier chinois de Hô Chi Minh – Ville d’aujourd’hui.)

2b Jane Tony
Jane March et en arrière plan Tony Leung Ka-fai sur un bac qui traverse le
Mékong.


Un Amour Impossible
Le couple ne pouvait pas continuer à se voir; leur vie ensemble était impossible. Était-ce dû au destin ? En fait, le roman de Marguerite Duras explore les complexités et les intimités d’une romance clandestine, donc impossible. Alors que le navire emportant l’amante française s’éloignait de Saigon, le Sino-Vietnamien retourna à Sa Déc pour se marier. C’était un mariage arrangé selon les souhaits de ses parents avec une jeune fille, elle aussi d’origine chinoise. Le jour du mariage, le cortège se dirigea vers le bac My Thuan, et les pensées du Sino-Vietnamien étaient tournées vers son amante française.
Tout au long de sa vie, Marguerite Duras (1914 – 1996) ne mentionna jamais le nom de cet homme, mais elle gardait toujours son image dans le cœur. De nombreuses années après la guerre franco – vietnamienne et pendant la guerre entre le Nord et le Sud du Vietnam, Huynh Thuy Le – après avoir effectué des recherches, on savait que c’était le nom de l’Amant – se rendit à Paris avec sa femme. Il l’appela et elle l’a immédiatement reconnu à sa voix, d’après ce qu’elle relate: Il dit: “Je voulais juste entendre ta voix.” Elle répondit : “Bonjour, je suis là !”
Il était excité, craintif, comme avant. Sa voix a soudainement tremblé, et, tout à coup, elle entendait à nouveau l’accent chinois. Il savait qu’elle avait commencé à écrire, comme il l’avait appris de sa mère lorsqu’ils s’étaient rencontrés à Saigon. Il avait entendu parler de la mort de son petit frère, et il éprouvait de la tristesse pour elle. Après, il lui disait que, comme avant, il l’aimait toujours, qu’il ne pouvait pas s’arrêter de l’aimer, qu’il l’aimerait jusqu’à la mort.

(Delta du Mékong)
Portrait de Huynh Thuy Le qu’on peut toujours trouver dans sa vieille maison à Sa Déc. (Delta du Mékong)

C’était Nam Ky
Le roman de Marguerite Duras a été adapté au cinéma et réalisé par Jean-Jacques Annaud. Et c’était un film franco-britannique dont le titre était ” The Lover “. Jane March, une actrice anglaise, a interprété le rôle de la jeune fille française, tandis que Tony Leung Ka-fai, un acteur de Hong Kong, a joué le rôle du Sino-Vietnamien. Jean-Jacques Annaud a recréé de grandes scènes, du bac enfumé de My Thuan (qui n’existe plus) au marché animé de Cho Lon – le quartier chinois de Saigon (qui existe toujours). Et aussi de petites scènes comme celle où l’homme a invité la fille au restaurant et celle où la fille a utilisé sa main gauche pour tenir les baguettes. Le film contenait également des scènes intimes très érotiques, mais elles étaient, pour moi, authentiques et débordaient d’émotions . (Je me souviens d’avoir demandé au cinéaste, sont-elles vraies les scènes d’amour du film?, et il me répondait par une autre question, faisant allusion aux scènes de bataille: les acteurs sont- ils morts lors des combats dans les films?)
Et que l’on soit Chinois, Vietnamien ou Français, l’amour peut toujours frapper et nous ensorceler tous. Personne ne tient compte de la race ou l’ethnicité lorsqu’il s’agit d’une histoire d’amour. De plus, elle se déroulait dans les paysages époustouflants du delta du Mékong et dans l’intimité d’une garconnière à Cholon – Saigon, cette grande ville du Sud du Vietnam. L’amour est comme la nourriture en ce sens qu’il doit être savouré entièrement pour comprendre ses nuances de sel, de douceur, d’acidité, d’amertume et de piquant. On dit aussi souvent: “Je suis né(e) à” et “J’ai grandi à…” En fin de compte, tout le monde aime la terre où on est né. Marguerite Duras avait une terre dans son cœur, un endroit avec une histoire d’amour inaccomplie, un lieu où elle avait reposé sa tête sur le bras de son amant pour échanger des mots tendres, des caresses et, peut être, une affection sans limite. La terre de Nam Ky (aujourd’hui, appellée Lục Tỉnh ou Đồng bằng sông Cửu Long) aussi bien que celle de la grande ville qu’était Saigon- et qui le reste toujours même si le nom a été changé – ont inspiré de nombreux écrivains, artistes et compositeurs.

1 Roman traduit
Une traduction en vietnamien du roman “L’Amant”.

“L’Amant”, en tout cas et surtout à travers l’adaptation cinématographique, représente pour moi une expérience de la beauté un peu perdue du delta du Mékong, à côté de cet amour singulier.
Il s’agit, en fait, d’un roman autobiographique de Marguerite Duras, publié en 1984 par les Éditions de Minuit. Il a été traduit en 43 langues dont le vietnamien, et a remporté le fameux prix littéraire Goncourt en 1984.
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Ngoc Tran

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