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Ambiance d’Embarquement “D-1” – Michel Gauvin (1919 – 2003)X

A mon ami, Jean Saint-Jacques, lieutenant au Regiment de la Chaudiere, mort au champ d’honneur le 16 Aout 1944.

Michel Gauvin

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_ Midi vingt-quatre.
Mille drapeau aux mille couleurs.
Feerie … Fete champetre.
Kepi kaki, balaclava, beret marin blanc, bleu, calotte, beret basque.
Tuniques aux galons dores, battle dress, denims.
Officiers, soldats, marins, debardeurs.
Un jazz.
Un engin qui s’essouffle.
Un talon de fer sur la passerelle de fer.
Un cri.
La charge de munition qui sonne sourd en tombant dans la cale.
Un sifflet … une locomotive qui rentre
Un sifflet … une locomotive qui part
Un penny qui roule a l’eau.
La vague qui s’ecrase sous la coque.
Le grincement de fer d’une grue mecanique.
Les ballons au-dessus de nos tetes qui dansent au bout du cable.
Un navire qui prend la mer.
Une cheminee qui crache une fumee rose.
Une T.S.F. qui chante a pleins poumons un jazz nouveau.
Les hommes de l’assaut vivent inconscients.
Celui-ci dort a la chaleur du soleil, le torse deja brun,
anonyme, pour seule individualite … une plaque d’identite au cou ;
celui-la, oui celui-la avec la nuque grise, plus nonchalant que les autres, une cigarette au coin de la gueule, qui releve continuellement une meche trop longue de cheveux.
Ceux-ci, sales, pas rases, la chemise ouverte, les manches relevees, en train de couper le pain blanc avec leurs mains noires ;
ceux-la, a genoux pres d’un tas de pennies, jouant leur solde.
Cet officier, la calotte en abat-jour, la pipe au bec, un livre a la main ;
celui-ci un roman grivois ;
celui-la, la Bible.
Et cet autre, plie en deux, le cul dans un trou de cordage. Les pattes plus hautes que la tete, en train d’ecrire.
On descend dans les barges.
On monte sur les quais.
Les vehicules dorment sous les filets de camouflage.
Fantassins, canons, chars d’assaut, marins, commandos, Anglais, Canadiens, Francais, un Chinois, deux Negres : tous pareils.
L’eau.
Les bateaux, petits et grands,
les ballons contre avions,
les hommes pele-mele,
les milles drapeaux aux mille couleurs,
tout n’est plus qu’une masse …
On crie pour se liberer … on ne s’entend meme plus.
Tout est confus.
Melee.
Tout ce qui demeure n’est plus qu’un continuel et sourd murmure fait de mille bruits qui se perdent …
Seule individualite … le numero du craft …
Landing Craft Tank 716.
Minuit vingt-quatre.
Couche sur mon safari, je grille une cigarette. Tout semble dormir,
Plus que le roulement d’un wagon sur les rails, le voisin qui ronfle,
le clapotement de l’eau.
La flotille est assemblee dans le port.
Collees epaule a epaule comme des soldats avant l’assaut, les bargent pointent toutes vers la mer.
Les courts mats blancs se tiennent en ligne telles les croix blanches d’un cimetiere, la nuit.
Les ballons argentes font la garde au-dessus de nos tetes. Leur nez brille, et cette pale clarte leur donne un visage. Berces par le vent au bout de leur cable, ils regardent a gauche, a droite, pointent vers le sol, puis s’elancent vers les etoiles dans une tentative, de rompre l’attache.
Leur elan se brise a la longueur du cable.
Celui-ci, au-dessus de ma tete, plus energique que les autres, ses piquees ne cessent pas, son courage ne faiblit pas … ses efforts font mal au coeur ;
Je voudrais le laisser partir libre comme l’oiseau.
Mais non !
C’est la sa part dans la machine de guerre.
Comme tous ces soldats anonymes, sans individualite, perdus dans la machine eux aussi, se confondant dans le tout.
– Oh ! Romains, c’est bien une guerre unanimiste que celle-ci !
Tout ou rien.
Sans autre ame que l’ame commune.
Victimes du moment.
Emportes dans la tempete.
Soumis a la force aveugle.
Inconscientes parcelles d’un tout.
Determines a n’etre rien de plus que la partie infime d’un tout.
Abnegation.
Attitude sublime.
Amour au-dessus de l’Amour.
Detachement complet …
Tout peut vivre.
Tout peut mourir.
Une concentration d’artillerie.
Un bombardement aerien.
Meme un tout petit morceau d’acier au bon endroit, et s’en est fini des efforts, de la volonte.
Rien ne depend plus de soi.
Tout est accident.
On ne parle plus que de groupe, de masse.
La plus basse unite n’est qu’une reunion confuse de mille ames.
Rien n’existe par lui meme.
Ce bateau ne compte pas mais cent …
Un canon ne peut rien mais mille …
Un homme n’existe pas mais cent mille …
L’heroisme n’est plus possible.
Ou sont les Chevaliers d’autrefois, ces heros uniques, qu’on leur offre la meme part pour voir quelle grimace ils vont faire :
en echange de l’immortalite de leur nom, celui du grain de sable sur la plage infinie.
Mais non !
L’heroisme n’est pas dans les gestes mais dans l’attitude …
C’est la foi qui fait le heros comme l’intention le peche. Ils ne sont pas tous beaux ces soldats ; beaucoup ont le visage faconne au moule de la Laideur : vice, passion, betise …
Dans un geste gratuit,
dans un instant de complete abnegation,
au travers des contradictions, des inconsequences, de l’imperfection de la Cause …
l’homme en saisit intuitivement l’essence,
nue,
amere,
severement belle.
Il accepte de ne pas comprendre la loi humaine autrement qu’en s’offrant en victime.
Il dit oui devant la Fatalite.
Il se laisse sombrer, sans plus resister, dans le courant de la Vie
pour qui la mort n’est qu’un acte nourricier. Tout sera pardonne en un moment,
peut etre demain,
notre visage deviendra beau, passionnement beau,
lorsque notre corps, derniere preuve d’egoisme, se perdra dans la nuit eternelle.

Michel Gauvin
Berth 46.
Southampton, 5 Juin 1944

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SUR LA TOMBE D’UN CAMARADE

Nous partons dans un instant
Je suis venu te dire adieu
Et dans le geste traditionnel
deposer cette humble fleur des champs
Je dois te faire des excuses
– pour ta croix et ta fosse
OUI ! je sais, la croix n’est pas bien faite
Que veux-tu ! on l’a faite d’une boite de compo
On n’avait pas les vehicules pour transporter les belles croix blanches
tout juste la place pour les munitions et les vivres
Ton nom aussi est bien mal trace
le lettrage est inegal
Et l’endroit aussi est bien mal choisi
a la fourche des chemins
a la poussiere des routes
Ta mise en terre s’est faite sans eclat
Il n’y avait que l’aumonier
et les deux soldats qui ont creuse la fosse
Les autres se battaient
pour capturer l’objectif avant la nuit
J’etais sur la droite lorsque tu es tombe
L’on m’a raconte comment on t’a trouve
les bras en croix
une grenade dans chaque main
la face dans la boue
Ton sacrifice a grandi le courage des camarades
Ton geste restera cependant ignore
– comme tant d’autres –
puisque tu n’es pas la pour faire taire ceux qui forgent une histoire a leur profit
Tu ne comptes plus
on t’a oublie
et sous peu, ton nom
ta mort n’a rien arrete
et devant ton sacrifice qui coutera tant de larmes a ta mere
on ne trouvera pas d’autres mots :
“C’est malheureux, c’etait un bon diable !”
mais au fond
c’est bien la seule reconnaissance a laquelle tu pouvais t’attendre
tu n’as pas ete decu
tu avais toi meme prevu en disant :
“Il n’y a pas de plaisir a vivre dans un monde ou l’on triche”
l’injustice et la comedie humaine n’ont pas vaincu ton enthousiasme
tu as vecu et tu es mort
– sans tromper le principe
en parfait accord avec l’heroisme absolu.
Avec quelle joie as-tu du vaincre la derniere epreuve
completement detache de toute vanite
parfaitement conscient de l’ingratitude et de l’oubli certains
Tu t’es donne !
Je te salue
– dans l’oubli.

Michel Gauvin
La Mare, Normandie
Juin 1944

Etude du parcours des elements de la 8e Brigade d’infanterie canadienne jusqu’a Anguerny et Anisy au soir du 6 Juin. ” … Le nettoyage de la plage du secteur Nan White a Bernieres-sur-Mer est assigne aux Queen’s Own Rifles (Q.O.R.) qui mal orientes tombent sous un feu en enfilade de trois postes de mitrailleuses, un sol de sable fin infeste de mines et la digue purement et simplement ficelee de plusieurs rangees de barbeles interdisant toute progression. Dans l’assaut initial, la digue franchie avec des echelles, la compagnie A des Q.O.R. tombe sous le feu d’un 88 non prevu sur les plans fournis et se trouve reduite au tiers …” .

MICHEL GAUVIN, SOLDAT ET DIPLOMATE CANADIEN
Extrait du Numéro Spécial – 60è anniversaire du débarquement
les Romanes se souviennent … ” … Cadet dans le corps d’officiers de l’universite Laval de Quebec, il rejoignit en 1941 les forces armees canadiennes comme lieutenant au Regiment de la Chaudiere. C’est ainsi que, promu capitaine, il debarqua a Bernieres le 6 Juin 1944 avec ce regiment d’elite, le seul entierement canadien francais. Apres avoir participe a Anguerny au combat de la nuit du du 6 au 7 Juin, puis a la prise du Chateau de Colomby, il s’illustra par son action aux Carrieres de Fontaine-Henry, y faisant prisonniers un grand nombre d’Allemands sans avoir du tirer un seul coup de feu. Ce fut ensuite la terrible bataille de Carpiquet ou il fut blesse. Ayant ete soigne en Angleterre, il retourna au front avec le grade de Major, dans le nord de la France puis en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Apres la guerre, il rentre au Quebec, decore entre autres de la Legion d’honneur et du Distinguished Service Order … Detache des 1946 aupres du Premier Ministre du Canada, il entama alors une brillante carriere diplomatique …. 1966 premier Ambassadeur du Canada en Ethiopie, ensuite Ambassadeur au Portugal(1969) et en Grece (1970), consul General a Strasbourg (1976), puis a nouveau Ambassadeur au Maroc (1978) et en Chine (1980). De nombreuses missions particulieres lui furent aussi confiees durant toutes ces annees, y compris au Congo en 1964, en Republique Dominicaine en 1965 et au Viet Nam en 1973. En tant que secretaire canadien de la Reine, il fut charge de coordonner les visites de S.M. Elizabeth II au Canada en 1976 et 1977 et recu alors la distinction de commandant du Victoria Cross Order… En 1984, il prit sa retraite du service public et devint representant special de la commission des Droits de l’Homme de l’ONU a Haiti en 1986.” .

ONE OF A DYING BREED
The Ottawa Sun, Monday May 10, 2004
par Peter WORTHINGTON, editeur “… For those who’ve never heard of him, Gauvin was Canada’s most experienced and decorated ambassador on record, winning every award that was available to foreign service officers. He was a practitionner of what could be called “unquiet diplomacy” or, when he headed the International Commission of Control and Supervision (ICCS) in Viet Nam, “open mouth diplomacy” that makes conventional diplomats quake, but gained Canada respect for truth, integrety and influence. … As a Major commanding a rifle company that was once surrounded, Gauvin called artillery on his own position to fend off the ennemy and was awarded the Distinguished Service Order (britannique). A DSO is routine for colonels, but when awarded to officers of lower rank it implies a recommendation for a Victoria Cross. … After his “open mouth diplomacy” in VN, in which he criticized Americans, Ha Noi, Saigon and whoever deserved it, Trudeau made him Ambassador to China. … In my view, there is no Michel Gauvin in a position of influence in our Foreign Service today – with too many cover-your-ass diplomats whose guiding lights is “expediency” and who are inclined to view citizens in trouble as a nuisance, or worse…”

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Michel Gauvin (1919 – 2003)