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L’Impératrice Nam Phuong (1914 – 1934 – 1963)

Georges Nguyễn Cao Đức (JJR65)

Le présent texte est dédié à la mémoire de Mme S.L.T.T. et à celle du papa de Nguyen Khac Trung (JJR64)

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Une bourgade du sud-ouest français, Chabrignac, en Corrèze, abrite une sépulture sur laquelle on lit les inscriptions « ĐẠI NAM NAM PHƯƠNG HOÀNG HẬU CHI MỘ » (sépulture de l’impératrice d’Annam Nam Phương) et « ICI REPOSE L’IMPÉRATRICE D’ANNAM NÉE MARIE THÉRÈSE NGUYEN HUU THI LAN ». C’est la tombe de Nam Phương, seule impératrice ayant reçu ce titre de son vivant dans l’histoire du Viet Nam contemporain. Dans l’empire d’Annam, la coutume n’était pas de couronner l’épouse du souverain, qui était seulement Nhứt Giai Phi (compagne de 1er rang) ou Nhị Giai Phi (2è rang), sans parler des autres concubines, et recevait le titre de Reine-Mère à la mort du souverain si son fils montait sur le trône.

La plaque tombale à Chabrignac est endommagée sur le côté, la sépulture ayant été profanée 3 fois, la dernière lors d’un anniversaire de la bataille de Điện Biên Phủ, pour des raisons probablement politiques. Elle fut une grande dame ayant rempli parfaitement son rôle sur le trône, d’une dignité totale à la chute de la monarchie, et après. Nam Phương a gardé la sympathie des Vietnamiens malgré le temps, par sa conduite personnelle.

La jeunesse de l’impératrice prénommée en ce temps Marie- Thérèse Lan, et ses années de règne, sont connus. La période 1945-48 et le reste sa vie le sont moins. Restons peu sur cette jeunesse de Mariette – ses familiers l’appelaient ainsi-, dont le père, Pierre Nguyễn Hữu Hào (sa femme était née Lê Thi Binh), était devenu gendre et régisseur des biens du grand-père M. Lê Phat Dat, le plus grand propriétaire terrien de Cochinchine. Ces terres avaient été données à M. Dat, Duc de Long My² (Long My² Quân Công), par la Cour d’Annam, en échange de la commanderie de Hoa Lư (a). La famille était catholique de la foi la plus solide. Le don par Đạt de plusieurs églises dont celle bien connue de Saigon (Nhà Thờ Huyện Sỹ), sise rue Tôn Thất Tùng actuelle, outre celles de Chợ Quán, Gò Vắp, Thủ Đức, l’atteste.

La jeune Lan née en 1914 à Gò Công (delta du Mékong) avait 12 ans lorsque sa famille – très moderniste – l’envoie en France au Couvent des Oiseaux, à Neuilly, où elle termine ses études secondaires, en 1932. On ne semble pas avoir de détails sur un séjour en France de sa soeur aînée Agnès, future baronne Didelot. Il lui faut alors rentrer au pays natal, l’époque n’impliquant pas que les jeunes filles fassent nécessairement des études supérieures, même si à la même date la princesse Như Mai, fille de l’empereur Hàm Nghi exilé, poursuit ses études d’ingénieur agronome. La coïncidence du retour sur le même bateau que Bảo Đại, lui-même retournant définitivement au pays, et sans que les 2 jeunes gens se rencontrent, figure dans tous les textes.

La rencontre se fit un an après, en 1933, organisée par le gouvernement général de l’Indochine avec l’aide de Mr Charles, ancien Résident Supérieur en Annam et chez qui Bảo Đại avait longuement habité à Paris, appelant Mme Charles « maman ». La jeune Marie-Thérèse Lan l’a elle-même relaté : en vacances à Ðà Lạt, elle fut entraînée contre son gré par son oncle Lê Phát An à une réception au Langbian Palace (l’actuel hôtel Sofitel de Dalat). Là, le maire de Ðà Lạt et Mr Charles, qui connaissaient l’oncle, lui dirent « Venez, il faut absolument que vous soyez présentée à l’Empereur, il est présent ». Elle fit une révérence profonde, à l’occidentale, devant le jeune monarque : l’éducation aux Oiseaux avait été excellente. L’empereur, touché par le geste, l’entraîna sur la piste de danse pour un tango. Intérêt sentimental éveillé, et, peu de temps après, décision de Bảo Đại de l’épouser. Ce dernier l’a raconté en 1980 : il y avait lors de la rencontre la présence de Pierre Pasquier, gouverneur général de l’Indochine, et il ne déplaisait pas à l’empereur d’avoir une sudiste pour femme, comme ses ancêtres Thiệu Trị et Minh Mạng, et il lui était primordial que son épouse fût éduquée de manière moderne comme lui. En somme, la politique s’accordait avec le sentiment.

Oui, mais comment épouser une catholique quand on est souverain pontife, Fils du Ciel ? La Cour lança ouvertement une cabale, les grands mandarins offusqués menacèrent de démissionner, et surtout Từ Cung, la mère de Bảo Đại (photo en bas de la page), s’y opposa. On arriva au point que l’ambassadeur de France au Vatican, Charles Roux, dut faire une démarche auprès du Pape pour une dispense. Peine perdue.

Nam Phương avant son mariage 
Lors de son avènement en 1934
Vers 1935 

Un arrangement fut pris : officiellement, l’héritier sera élevé dans la religion bouddhiste. Le mariage put alors se faire le 24 Mars 1934 (certaines sources mentionnent le 20 mars). Cette affaire qui agaça la Cour et le gouvernement général de l’Indochine pendant des mois et sur laquelle le gouvernement français fit le blackout eut deux suites opposées bien plus tard, relevées par Daniel Grandclément : avec sa double éducation bouddhiste (le jour) et chrétienne (le soir), le prince héritier Bảo Long devint plus tard non-croyant, tandis qu’au soir de sa vie, Bảo Đại s’est converti au catholicisme, en 1988, neuf ans avant sa mort.

Le mariage fit sensation : le couple impérial était jeune, beau, d’éducation moderne, multilingue. L’empereur avait 22 ans, la nouvelle impératrice en avait 20. Ils s’aimaient réellement ; Bảo Đại ne commença à tromper sa femme que des années après. C’était oublier le caractère de Lan maintenant sur le trône, pour qui le devoir était une deuxième nature.
Elle avait exigé et obtenu le titre d’Impératrice (Hoàng Hậu) avec son nom de règne de Nam Phương (Cieux du Sud), puis le prédicat de Majesté Impériale le 18 juin 1945 ; elle avait exigé et obtenu une double éducation religieuse pour ses enfants, elle avait obtenu la fidélité de son mari au début, mais elle voulait également qu’il fût irréprochable dans son travail. Echec ultérieur.

Elle-même s’attela immédiatement à ses obligations : hôpitaux, crèches, établissements scolaires, présidence de manifestations, visites aux pauvres, oeuvres sociales innombrables, apparitions inattendues. Connaissant les charges d’une femme vietnamienne au foyer, elle demanda à ce que des cours d’arts ménagers fussent intégrés à l’enseignement secondaire des jeunes filles, car elle même savait bien cuisiner. D’où une popularité extrême et la sympathie instinctive de la population, qui savait que les dons et secours financiers innombrables qu’elle faisait et offrait sortaient de sa cassette personnelle : la liste civile n’y aurait sûrement pas suffi. Elle ne coûta rien au budget de la Cour, se faisant un point d’honneur de n’utiliser que son argent personnel. De là le respect que ses adversaires lui montrèrent, pendant et après le règne : la corruption, hier comme de nos jours, est une plaie endémique du Viêt Nam. Les seules dépenses lourdes initiales pour les nouveaux mariés le furent sur le budget fédéral indochinois : la décoration par la maison Leleu de Paris et une mise aux normes (dont une salle de bains, inexistante…) de leur appartement privé au sein du Palais Kiến Trung, détruit plus tard durant les combats de 1946.

Nam Phương utilisait d’autant plus son argent personnel qu’elle découvrit vite la situation de son mari : il n’avait aucun argent privé, et toutes ses dépenses personnelles recevaient 3 approbations tamponnées par d’obscurs fonctionnaires français. Daniel Grandclément a largement rappelé les tracas administratifs pour l’achat personnel par le souverain d’un simple album de photos relié en cuir. La liste civile était ridicule, et l’empereur était toujours à court d’argent personnel. Lors de l’exil de Duy Tân à La Réunion en 1916, le budget de la Cour était d’ailleurs tellement étriqué que l’empereur déchu s’était vu octroyer comme pension l’équivalent du salaire d’un ouvrier, et a du gagner tout simplement sa vie, contrairement à Hàm Nghi, le premier monarque exilé par la France, qui avait reçu une pension annuelle de 25 000 francs/or.

Néanmoins, la vie continuait ; les souverains des autres pays étaient accueillis en visite officielle par le couple ensemble (innovation en Annam), et Sihanouk du Cambodge, Sisavang Vong du royaume de Luang Prabang (le Laos ne sera unifié qu’en 1945, avec l’incorporation de la principauté de Champassak) seront conquis par la grâce et la manière par lesquelles l’impératrice s’acquittait de son travail. Le couple vivait le soir à l’européenne dans leur intimité, et Nam Phương ne connut que peu le repas traditionnel de l’empereur en 35 ou 50 plats (le chiffre varie selon les sources) servis dans des récipients fermés. Un gramophone tournait parfois, rappelant en musique aux 2 époux leur adolescence à l’étranger, encore proche. Le couple aimait danser, aussi les vit-on parfois tournoyant en musique sur les terrasses du palais An Định construit par Đồng Khánh (grand père de Bảo Đại) en 1886, lors de réunions privées ou officielles. Palais qui devait abriter la rétention de l’impératrice quelques années plus tard.

Un malheur cependant : dès la naissance du premier enfant le 4 janvier 1936, le prince héritier (Đông Cung Thái Tử) Bảo Long, Nam Phương fut atteinte de surdité progressive, qui s’aggrava à chaque naissance supplémentaire. Dès la fin des années 1930, il fallait lui parler à très haute voix, et presque crier devant elle 20 ans plus tard. Deuxième souci : la lutte permanente contre Từ Cung, car tout chez la bru hérissait la belle-mère. Cette dernière n’était en effet qu’une simple personne de service à la Cour quand elle partagea brièvement la couche de Khải Định, donnant le jour à Bảo Đại. La patricienne cochinchinoise surclassait la reine douairière. De son côté, Bảo Đại ayant une sainte peur de sa mère encore jeune ne fit pas écran entre elle et sa femme. Une scène du feuilleton télévisé « Ngọn nến hoàng cung » réalisé en 2004 et diffusé en août 2006 par satellite sur la chaîne vietnamienne VTV4 a illustré cette joute.

En 1939, le couple avait déjà 3 enfants : Bảo Long, les princesses Phương Mai (1er août 1937) et Phương Liên (3 novembre 1938), ces dernières étant nées non au Palais mais à Ðà Lạt. Bảo Long a été officiellement investi du titre d’Héritier de la Couronne le 7 mars 1939 (cf photo à gauche). Mais l’empereur avait d’ores et déjà entamé sa chute morale : toutes ses velléités de modernisation en 1932 rejetées au bout de 6 mois par l’autorité coloniale et par le corps mandarinal, il commençait à se désintéresser de ses devoirs. De plus, la rigueur morale de Nam Phương commençait à le lasser, après les premières années : elle était trop « bien ». Il la trompa. Les Vietnamiennes n’avaient pas abandonné l’espoir que la polygamie impériale fût rétablie et se pressaient autour du monarque. Une dispute s’ensuivit à Ðà Lạt obligeant la femme du Gouverneur Général de ce moment à prendre la route pour aller réconcilier le couple. Elle s’y tua durant le trajet, et le couple impérial se ressouda devant la dépouille de la malheureuse femme : la princesse Phương Dung vit le jour au palais d’An Định de Huê le 5 février 1942, suivi du prince Bảo Thắng le 30 septembre 1943 à Ðà Lạt. Cette réconciliation arrivait à point : par obligation, l’amiral vychiste Decoux avait quelque peu modernisé à partir de 1941 l’Indochine isolée durant la guerre, et par politique mettait sur le devant de la scène les 3 souverains de l’Indochine. Nam Phương se relança avec encore plus d’ardeur dans ses tâches.

En 1945, Roosevelt avait déjà décidé que l’Indochine serait soustraite aux Français après la défaite inéluctable des Japonais. L’empereur et sa femme, le sachant, décidèrent de jouer la carte japonaise – sans illusions mais c’était « jouable » de lancer le fait accompli de l’indépendance même accordée par le Japon – quand les troupes nippones déclenchèrent le coup de force anti-français au soir du 9 Mars 1945, abolissant le protectorat. La défaite des Japonais 5 mois plus tard amena néanmoins Bảo Đại à l’abdication en des termes très dignes le 25 août (peut-être un trop vite, même aux yeux de Hô Chi Minh, selon certaines sources), après un appel pathétique et sans succès aux Alliés, demandant la reconnaissance de l’indépendance du Viet Nam. Pour ces derniers, l’empire du Viêt Nam indépendant n’était qu’une création nippone. L’impératrice devint donc une simple citoyenne, femme du Conseiller Suprême Vĩnh Thụỵ du nouveau pouvoir, et qui alla à Hà Nôi, laissant sa femme à Huê, et passant en Chine pour y reprendre sa liberté dès que l’occasion survint, en 1946.

La famille impériale, forcée de quitter la Cité Interdite de Huê devenue symbole d’un pouvoir perdu, alla vivre au palais An Định (restauré récemment par l’UNESCO et l’Allemagne, photo récente en bas). L’ex-impératrice, parfaite dans l’épreuve et suivie d’une seule servante extrêmement fidèle, prit soin de n’emporter que ce qui lui appartenait en propre, réparti en 40 caisses. Désormais elle et ses enfants vont vivre sous le contrôle d’un commissaire politique communiste.

Nam Phương, au sommet de sa beauté (elle a 31 ans, et pratique une gymnastique quotidienne à An Định au vu et au su de tous), vit désormais dans l’angoisse – tous les francophiles et certains Français sont tués à Huê – et sans un sou : son argent personnel est à la Banque d’Indochine et en France. Sans parler de la coexistence avec la reine-mère. Libres néanmoins de leurs mouvements au sein d’An Định, elle et les siens vont être renseignés sur les évènements du monde extérieur par un réseau catholique. Elle envoie à la demande du Viêt Minh un message au monde et à Truman demandant de respecter l’indépendance vietnamienne, car elle y trouve son compte personnel : elle est vraiment pour l’indépendance, même si le nouveau gouvernement ne lui dit d’ores et déjà rien qui vaille. Ses enfants vont à l’école commune, où ils apprennent à oublier le français.

L’ex-impératrice vivant dans la peur, avec les manifestations incessantes contre le quartier européen proche, a une consolation : avec l’accord du commissaire politique assez accommodant car impressionné par sa majesté naturelle, elle va prier chaque matin à la chapelle des Rédemptoristes canadiens (donc neutres), à deux cent mètres. C’est là en réalité qu’elle se renseigne, découvrant l’actualité réelle, les tueries perpétrées par le Viêt-Minh, le jeu politique des uns et des autres. Elle est désormais au courant des infidélités de Bảo Đại à Hà Nôi, les femmes étant « poussées » dans ses bras par le nouveau gouvernement pour le « tenir ». Et ceci, sur un fond surréaliste : Huê est encore patrouillée par les troupes japonaises ayant capitulé mais non encore désarmées ; le viêt minh le tolère, y trouvant son intérêt car il manque encore d’effectifs. Nam Phương verse des larmes en recevant un jour un message de son mari finalement passé en Chine en 1946. Femme toujours vertueuse.

Le 29 mars 1946, les troupes françaises du colonel De Crèvecoeur arrivent à Huê (photo ci-dessus : Français débarquant à Saigon fin 1945), mais Nam Phương, restant sur sa position indépendantiste, refuse d’être protégée par elles et reste au palais An Định (photo récente du palais ci-dessus). Pendant ce temps, les accords Sainteny-Leclerc-Hô Chi Minh ont été signés à Hà Nôi. C’est alors qu’on voit à Huê manifester des gens de la droite catholique demandant le retour au pouvoir de Bảo Đại avec réincorporation de la Cochinchine, estimant que Hô Chi Minh s’est fait berner par la France. En réalité, c’est Nam Phương qui a profité de la période septembre 1945 – mars 1946 pour catalyser ce mouvement lors de ses passages quotidiens chez les prêtres ; pas question de retour des Français, même si elle est au courant du jeu communiste au sein du Viêt-minh. La révolte anti-française et anti-viet minh à Huê va exploser en août – la sûreté française d’Annam en est au courant – lorsque tout retombe comme un soufflé. C’est que le décor politique devient flou : la Cochinchine déjà érigée en république séparatiste en Juin 1946, la venue de Hô Chi Minh à Paris va ne servir à rien, Bảo Đại est en Chine, et les Français se mettent à se tourner vers lui. La vie contraignante continue à An Định.

Le matin-même du jour (19 décembre1946) où elle apprend par les prêtres qu’à Hai² Phong éclate le fameux « incident » faisant 6000 morts, Nam Phương et ses enfants se réfugient chez les Rédemptoristes canadiens car elle a immédiatement tout compris : la guerre va reprendre. Pour des raisons politiques, il faut aller chez des neutres afin de ne pas embarrasser son mari en Chine, et pour préserver les droits de son fils. Chose étonnante, le commissaire politique la laisse faire, la reine-mère restant à An Dinh, elle. Il était temps : quelques heures plus tard, les combats à Huê reprennent. Jusqu’en Avril 1947, Nam Phương et les siens vont vivre dans des « cellules » normalement réservées aux religieux, au sous-sol, avec d’autres réfugiés, mais séparés d’eux. Sous les obus et les bombes. Tous les jours, rien que du riz, parfois agrémenté de rations militaires, quand les troupes françaises en donnent, et moins d’un demi-litre d’eau pour se laver.
Pendant ce temps, Huê est assiégée par les troupes viêt-minh maintenant nombreuses.

Et en cette année 1947, le paysage bascule : les vietnamiens non-communistes et les Français envisagent ouvertement le retour de Bảo Đại au pouvoir. Le gouvernement français veut faire évacuer l’ex-impératrice même contre son gré, car elle pourrait être définitivement incarcérée par le Viêt-Minh à titre d’otage, le bâtiment des Rédemptoristes étant au milieu de la zone de combat urbain. L’ex-souveraine doit trancher.
Devinant les pensées de son mari, elle, anti-française en 1945, va accepter d’être mise en lieu sûr par ses adversaires de 2 ans. En pleine guerrilla, des blindés français évacuent l’ancienne famille régnante qui quitte les Rédemptoristes (photo en haut à gauche), et la déposent à la Banque d’Indochine à Huê qui est aussi la demeure de son responsable, M. Fafard.

De nouveau au sous-sol pour éviter les obus des mortiers, et avec une protection adéquate : le prince héritier dort chaque soir dans la salle souterraine des coffres, derrière la porte d’acier de 30cm d’épaisseur. Et enfin, les troupes viêt minh se retirent de la ville. L’ex-impératrice et ses enfants rejoignent alors Tourane (Dà Nang) par la route dans des blindés puis décollent pour Ðà Lạt épargnée par la guerre, y retrouvant la famille Nguyễn Hữu Hào.

Dès août, Nam Phương rejoint son mari à Hong Kong. Retrouvailles que l’on peut imaginer : séparation, infidélités du mari, souffrances diverses de l’épouse. Rien n’a filtré des mots de leurs retrouvailles, mais de cette rencontre à Hong Kong en 1947 jusqu’en 1958, Nam Phương affiche une sérénité imperturbable en façade, évitant d’être trop présente aux côtés de son mari car désormais sans illusion aucune.

Elle veille jalousement sur les intérêts de son fils héritier, et n’oublie pas ceux qui l’ont aidé. M. Fafard deviendra le gestionnaire du reste de sa fortune (il n’y a plus de rentrée d’argent des rizières avec la guerre), quand même imposant. Les Rédemptoristes feront l’objet de sa sollicitude jusque dans les années 1950.

Du retour de son mari au pouvoir en 1949 et jusqu’en 1953, elle résidera plusieurs mois par an au Vietnam, à Ðà Lạt, où sa chambre est restée inchangée pour les visites des touristes (cf photo ci-contre), toujours parfaite, et remplissant ses fonctions auprès de son mari, mais encore plus belle, plus royale que jamais : elle n’a que 36 ans en 1950. Ses traits, superbes mais déjà largement nimbés de tristesse, sont figés à cette époque sur des timbres (cf photo ci-dessus). Ils l’avaient déjà été à son avènement (cf page 2). Mais le lien est bien cassé : le seul devoir la fait rester aux côtés de son mari, qui continue d’avoir des maîtresses dont certaines sont particulièrement connues : Phi Anh, Bùi Mông Điệp, Jenny Wong, parmi des dizaines d’autres.
Une grande joie pour elle : le couple est reçu par le pape Pie XII. La catholique y laisse s’exprimer un contentement profond et visible, et l’ancienne souveraine y montre une dernière fois une attitude impériale (photo ci-dessous à gauche). Deux mois avant Điện Biên Phủ, les actualités montrent le couple reçu à l’Elysée par le président René Coty. On y voit le visage souriant de Nam Phương malgré le drame en cours : on sait déjà que la garnison ne tiendra pas.

Et vient la destitution de son mari en 1955 voulue par Ngô Dinh Diêm, qui, selon diverses sources, avait pourtant promis sur la croix de préserver le trône pour le prince Bảo Long, sur l’instigation de l’impératrice elle-même. Le couple impérial désormais rejeté va vivre ensemble à Cannes pendant 3 ans.

Nam Phương accompagne son mari pour quelques réceptions ou obligations, reçoit Nguyễn tiến Lãng ancien confident et écrivain de qualité, échappé des geôles communistes en 1951. La comédie du couple uni n’étant plus de mise, elle achète de ses deniers personnels en 1958 le domaine de 160 hectares de La Perche, à Chabrignac , au sud- ouest de la France(cf photo en bas de la page), où elle habitera désormais avec ses enfants, sans Bảo Long qui se bat en Algérie dans la cavalerie blindée de la Légion Etrangère. Bảo Đại connaîtra très peu cette longue bâtisse de 32 pièces, 4 salons et 7 salles de bains, mais sera présent le 6 janvier 1962, lors du mariage de Phương Liên avec M. Bernard Soulain.
Chabrignac gardera un souvenir vivace de l’évènement et un site Internet d’élèves de l’école de cette bourgade mentionne encore de nos jours ce mariage et l’ex- famille régnante.

La vie quotidienne continue, et Bảo Long devenu banquier après l’Algérie gère les biens encore très conséquents de sa mère. Nam Phương est maintenant heureuse, autant qu’on puisse l’être dans une vie solitaire. Oui, solitaire, car dans son livre Daniel Grandclément écarte l’histoire d’une liaison avec le kinésithérapeuthe, régisseur du domaine de La Perche, histoire non relevée par les autres auteurs.

Et arrive le 15 septembre 1963 où elle meurt d’étouffement de manière extrêmement rapide en la seule présence affolée du régisseur et d’une employée, les médecins appelés étant absents, et les pompiers arrivant trop tard. Elle n’avait que 49 ans. La veille, le médecin avait diagnostiqué un début d’angine. Le préfet et quelques maires seront présents autour des enfants et de Bảo Đại à l’enterrement, ainsi que la princesse Như Lý, fille de Hàm Nghi, dont la propriété jouxtait celle de Nam Phương sans que les 2 femmes ne se soient jamais rencontrées. Bảo Đại ne reviendra plus jamais sur la tombe de sa femme et se remariera plus tard.

A part Bảo Long objet dans son adolescence d’une éducation dirigée par sa mère et suivie par la Cour puis par la Maison du chef de l’Etat du Vietnam, l’impératrice s’est occupée directement de l’éducation de ses enfants. Bảo Long est actuellement retraité et Grand Maître de l’Ordre du Dragon d’Annam, vivant à Londres après être resté à Paris jusque dans les années 1990 (B). Bảo Thắng suivra sa scolarité au moins jusqu’au début des années 1950 au Collège d’Adran, à Ðà Lạt, puis en France. Phương Mai sera éduquée comme sa mère au Couvent des Oiseaux de Neuilly à côté de Paris, et épousera plus tard Pietro Badoglio, duc d’Addis-Abbeba et marquis de Sabatino, fils du maréchal italien ayant succédé à Mussolini quand l’Italie s’est retournée en 1943 contre l’Allemagne, et aura 2 enfants, Flavio et Manuela. Phương Liên mariée au banquier bordelais Bernard Soulain aura 2 filles, Valérie puis Caroline. Phương Dung, discrète, n’a pas fait parler d’elle. Ces enfants se retrouvent régulièrement au domaine de La Perche à Chabrignac jusqu’à la mort de l’impératrice.

Nam Phương se rappellera à notre souvenir une dernière fois, lors de la vente il y a 2 ans (Juin 2004) à la Salle Drouot à Paris d’une paire de clips d’oreille commandée en 1948 chez le joaillier Pierre Boivin à Paris, à son arrivée en France après ses retrouvailles avec Bảo Đại à Hong Kong l’an d’avant.

Une personne ayant souvent approché Nam Phương, Madame S.L.T.T. fille de Lê Thành Tùong, rare Vietnamien ayant travaillé au cabinet des divers gouverneurs de l’Indochine des années 1930 à 1945 a parlé de Nam Phương en ces termes dans les années 1970, qui résument toute la personne de la souveraine : « l’Impératrice était d’une beauté naturelle ne nécessitant qu’un maquillage élémentaire ; elle utilisait souvent le français, mais son parler vietnamien est du Sud. Un comportement royal naturel, une simplicité et une gaîté réelles. Mais surtout, rien de méchant en elle, une bonté étonnante, avec un sens du devoir très rigoureux. Elle était faite pour son titre. »

Georges Nguyễn Cao Đức (*)
© Tous droits réservés sur le texte et sur les photos par leurs auteurs et sources respectifs.

(a) : Précision apportée à l’auteur par P. Lê Phát Tân, arrière petit-fils de Lê Phát Đạt
(b)Bảo Long est mort en juillet 2007, un an après la publication initiale du présent article

Sources :
– Bibliothèque Nationale de France
– Archives Nationales de France
http://www.arikah.net/encyclopedie-francaise
http://www.vietpage.com/archive_news/politics/2004/Jan/27/0010.html
– Mme S.L.T.T., Paris
– Lucien Bodard, La guerre d’Indochine, Gallimard, 1973
– G. Gautier – La fin de l’Indochine française – SPL – 1978
– Amiral Decoux, A la barre de l’Indochine, Plon, 1949
– Philippe Franchini, Les guerres d’Indochine, Pygmalion, 1988
– Bao Dai, Le Dragon d’Annam, Plon, 1980
– Philippe Devillers, Histoire du Vietnam de 1940 à 1952, Le Seuil, 1952
– Daniel Grandclément, Les derniers jours de l’empire d’Annam, J-C Lattès, 1997

N.B. Le feuilleton télévisé « Ngọn nến hoàng cung », sur la période 1945-55 de Bảo Đại, et réalisé par la TFS, Saigon, 2004, édition originale en 4 packs de 3 DVD chacun, regravé en 8 DVD, peut être acheté pour 16 USD sur http://www.go2viet.com/4_4962.htm

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(*) Georges Nguyễn Cao Đức est le rédacteur de la revue “Good Morning” de l’AEJJR – http://aejjrsite.free.fr/
Nous le remercions de nous avoir autorisés à mettre son article en ligne sur notre site.

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